A qui revient-il de garantir l’accessibilité de l’alimentation scolaire ?
Le décret relatif aux repas gratuits en Fédération Wallonie-Bruxelles est abrogé, et la décision de financer ou cofinancer des repas scolaires reviendra maintenant aux pouvoirs organisateurs. C’est la fin, de facto, de la gratuité des repas, et un réel enjeu de santé publique.
CARTE BLANCHE · Le Soir · Publié le 24/11/2025 à 14:58 · Temps de lecture: 5 min
Par le Réseau pour une Restauration Collective Durable : Sophie Aujean (Ecole à Table), Séverine Hervé (Good Planet), Hervé Léonard (Groupe One), Jonathan Caillet (Réseau Aliment-Terre de l’Arrondissement de Verviers).
Le 10 octobre, à l’issue de son conclave budgétaire, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a annoncé une série de mesures, parmi lesquelles la fin des dispositifs de gratuité – du moins sous leur forme actuelle.
Si la gratuité des fournitures scolaires est maintenue et même étendue jusqu’à la 6e primaire, les moyens alloués étant réduits, écoles et pouvoirs organisateurs devront assumer une pression accrue pour garantir cette gratuité.
Qu’en est-il alors des repas scolaires ? Jusqu’ici, le décret relatif aux repas gratuits mettait à disposition un peu plus de 21 millions d’euros pour financer les repas chauds, permettant à près de 430 écoles d’en bénéficier jusqu’à la fin de l’année scolaire. Ce soutien ciblait les établissements à encadrement différencié. Désormais, une enveloppe de 14 millions serait allouée à ces mêmes écoles, mais pourrait être utilisée tant pour les repas scolaires que pour d’autres dépenses.
Or, dans le même temps, ces établissements voient leurs moyens de fonctionnement réduits d’environ 9 millions d’euros, tout en devant respecter leurs obligations quant à la gratuité des fournitures scolaires. On comprend dès lors que, dans les faits, le financement des repas scolaires risque fort de devenir pour eux une priorité reléguée au second plan.
Alimentation scolaire : de quels enjeux parle-t-on ?
Payer 4 ou 5 euros le repas de midi, pour les familles qui ont plusieurs enfants scolarisés et un budget déjà sous tension, c’est tout simplement hors de portée. Or, ce n’est pas un phénomène marginal : en 2022, 17,3 % des élèves en Wallonie et à Bruxelles étaient en situation d’insécurité alimentaire.
L’alternative au repas chaud ? La fameuse « boîte à tartines ». Sur le terrain, dans les écoles à indice socio-économique faible que nous accompagnons au quotidien, nous sommes aux premières loges pour observer le contenu des boîtes à tartines. Et le problème, en tout cas jusqu’ici, ce n’est pas tant que les boîtes à tartines sont vides. Quand c’est le cas, les directions d’écoles trouvent des solutions. Dans la plupart des cas, le problème est ailleurs : le contenu des boîtes à tartines est trop souvent très pauvre sur le plan nutritionnel. Qu’il faille davantage sensibiliser les parents sur l’alimentation de qualité (quelle que soit leur catégorie professionnelle), c’est un fait, mais cette situation s’explique en partie aussi par la répartition inégale, sur le territoire, des points de vente d’aliments sains, ce qui renforce les inégalités de santé. Elle est aggravée par le coût élevé des régimes alimentaires sains et par le fait que 44 à 63 % des produits vendus en supermarché sont ultratransformés.
Est-ce dramatique ? Occasionnellement, bien sûr que non. Mais lorsque ce type de repas devient quotidien, cela devient un enjeu majeur – à la fois pour les politiques éducatives et de santé publique. Disons-le clairement : alors qu’on normalise la malbouffe à l’école, le gouvernement se dégage de sa responsabilité en la matière.
On entend souvent : « Ce n’est pas à l’école de résoudre tous les problèmes de société ! » Certes, et d’autant plus quand les moyens financiers sont réduits ! Mais lorsque plus de 80 % des enfants restent sur le temps de midi, il est indispensable que ce moment devienne un lieu d’apprentissage de l’alimentation. D’autant que les apprentissages fondamentaux – lire, écrire, compter – nécessitent un cerveau nourri correctement. Une alimentation trop riche en graisses saturées, sucres raffinés et additifs nuit aux capacités de mémorisation et de gestion des émotions.
Bref, garantir à tous les enfants un accès à des repas scolaires de qualité n’est pas un luxe, ni un projet à remettre à plus tard quand les caisses seront pleines. C’est un investissement essentiel dans leur santé, leur réussite scolaire et leur avenir.
Enfin, n’oublions pas que les repas scolaires représentent également un formidable levier de développement local : ils créent de l’emploi pour les cuisiniers, soutiennent les agriculteurs et dynamisent l’ensemble du secteur de la restauration collective. Autant de raisons pour lesquelles ce chantier mérite d’être consolidé, pas fragilisé.
Où sont les marges de manœuvre ?
Les dispositifs et les initiatives en matière d’organisation, d’encadrement, de qualité et d’accessibilité des repas scolaires pourraient être bien plus efficaces si les financements étaient à la hauteur des enjeux. C’est le cas dans la majorité des pays de l’UE… mais pas encore en Belgique.
Nous ne pouvons que constater que les moyens financiers ne suffisent pas. Et dans le même temps, réitérer qu’il existe un réseau d’acteurs de terrain expérimentés, prêts à soutenir un projet politique ambitieux sur la restauration scolaire.
Qu’attendons-nous, a minima, des pouvoirs publics ?
D’abord, reconnaître que la lasagne institutionnelle belge n’aide en rien lorsqu’il s’agit d’une politique aussi transversale que l’alimentation scolaire. Nous appelons donc les différents niveaux de pouvoir à coordonner leurs actions – santé, enseignement, agriculture, enfance – pour renforcer l’impact des mesures prises en matière d’alimentation scolaire.
Ensuite, il est essentiel d’encourager les écoles à maintenir leur service de repas chauds, malgré les contraintes financières. Cela passe par un soutien concret aux directions et aux pouvoirs organisateurs : simplifier les démarches de marchés publics, faciliter le recrutement des auxiliaires de service et d’éducation et valoriser ce personnel, sensibiliser les familles sur l’importance du repas chaud, etc.
Enfin, il est urgent de renforcer l’accessibilité des repas en mobilisant toutes les solutions possibles : identifier des mécanismes efficaces de cofinancement des repas scolaires (et de gratuité pour les ménages les plus en difficulté), analyser la structure des coûts des repas pour mieux les maîtriser tout en progressant sur la qualité, ou encore encourager la mise en place d’alternatives de qualité lorsque le service de repas chauds ne peut pas être assuré, voire autoriser l’utilisation de chèques repas pour financer les repas scolaires.
Malgré les coupes budgétaires, notre ambition reste intacte : faire émerger en Belgique une véritable politique d’alimentation scolaire, qui garantisse à la fois la qualité nutritionnelle des repas et leur accessibilité pour tous les enfants.